Intersaison
C’est presque comme avant. Pas tout à fait quand même. Avant c’était l’été, le plein été pour tous, juilletistes et aoûtiens, l’insouciance, le lâcher-prise des vacances, les grandes. Il y avait les résidents secondaires, et ceux qui louent une maison, la même depuis des années car on y a ses aises et y retrouve ses habitudes. Ceux qui font le choix d’une location en appartement ; chez eux on note davantage de vagabondage. On change plus volontiers d’appartement que de maison. D’une année sur l’autre, on varie les points de vue : l’océan et les îles à l’horizon, la rade ou le golfe. Bien sûr, dans ces appartements locatifs, on n’est pas logé comme chez soi en ville. On est un peu plus à l’étroit, mais on s’en moque. On est ici pour une semaine ou deux, pour vivre dehors avant tout, à la plage ou en bateau. Le soir, on flâne dans le vieux village, du côté de la petite cale, ou sur les quais du nouveau port de plaisance ; on dîne en terrasse pour prolonger les plaisirs de la journée. On n’a pas vu passer les heures, alors on étire le temps avec des soirées qui n’en finissent pas de douceur et de bien-être. Tous pareils. On communie dans la bonne humeur et l’oubli des soucis, on se sent plus vivants, c’est le plein été. C’est à ce moment aussi qu’on assiste à un phénomène identique à celui des marées : le passage des touristes qui arrivent et repartent dans la même journée, le flot et le jusant.
À présent, ce n’est plus tout à fait l’été. D’abord, il y a beaucoup moins de vacanciers et beaucoup plus de perruques blanches. Ces nouveaux locataires attendent que le gros de la troupe se soit égaillé, que les villes se soient reconstitué leur contingent de prisonniers, petits et grands, les écoliers et leurs parents. Et puis le matin, quand on ouvre les volets, il y a cette drôle de lumière pâle. C’est du beau temps, mais le ciel est transparent, laiteux ̶ gwengolo, la lumière blanche. Le soleil, moins vif, réchauffe sans brûler. On dirait qu’il souhaite se faire regretter, alors il brille en douceur. C’est le mois de septembre, trente jours imprévisibles, tout en fragilité. S’il fait beau, on se réjouit d’une arrière-saison aux couleurs estivales. Si la météo hésite, on n’y trouve pas son compte. À l’été on pardonne tout. Ou presque. La pluie n’est pas cinglante, juste un peu fraîche. On l’attend parfois après des jours et des jours de soleil qui ont tout desséché sur leur passage : la peau qui a enfin pris la couleur pain d’épice dont on rêvait, mais qui se ratatine, faute de soins hydratants ; la terre qui se craquèle et s’écaille : elle aussi a soif. Délicieux crachin quand le ciel a la bonne idée de sortir son brumisateur. Une journée de bruine et on repart, revigoré, pour de longues plages de ciel azuréen et de soleil arrogant. Si la pluie est violente, on ne sera pas mécontent qu’elle soit brève. On la trouve chaude. C’est un orage. Dans le quart d’heure qui suit, on a déjà oublié.
En septembre, on est plus exigeant. On veut encore profiter de belles journées. On attend l’été indien : rien que la formule traduit cette nostalgie de la période qui vient de prendre fin, encore que…Tant que le marchand de souvenirs et d’articles de plage tient boutique sur le trottoir, on se dit que le temps sera clément. Chaque matin, il sort les trois tourniquets de cartes postales, le portant de tongs et de méduses, les fameuses chaussures en plastique léger et transparent, un autre de maillots de bain ; on a bien remarqué qu’ils étaient soldés, mais rien que de très normal à cette époque. La barque bleu marine dans laquelle il entasse ses trésors est toujours à l’ancre pour attirer le chaland : seaux, pelles et moules à sable, raquettes et balles de beach volley, ficelés dans leurs filets jaunes ou rouges ; sans oublier les petits moulins à vent aux ailes de couleurs vives que de très jeunes enfants réclament d’autoritéà des grands-parents attendris.
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La saison joue les prolongations ; de quoi satisfaire les retardataires ou ceux qui ont la chance de cultiver l’art de la transition en s’attardant sur leur lieu de villégiature. D’ailleurs, il a des informateurs, le commerçant du Navalo, marins et pêcheurs, des locaux. Eux savent que, en matière de météo, la décision revient aux grandes marées de faire pencher la balance du bon côté. Il suffit que soleil et chaleur soient au rendez-vous de la première d’entre elles et à coup sûr, on accrochera le beau temps pour la quinzaine, au moins…Ensuite, on verra ! Si le ciel décline au fil des jours toutes les nuances du gris, s’il fait lourd sous une couverture cotonneuse, on a compris : ce n’est plus l’été indien, c’est un entre-deux, l’intersaison avec son lot d’incertitude. On se désole que les grandes marées aient choisi d’installer cette grisaille douceâtre. Alors une expression revient sur toutes les lèvres : le temps est mou. L’été s’en ira tout flagada et à son arrivée sur le calendrier, l’automne aura des allures de belle fille un peu gnangnan.
Pourtant le marché se tient sur la place de l’église tous les mardis et le long de la rade les vendredis. Un rayon de soleil sur les toiles bleues, rouges ou bayadères et on se croirait en pleine saison. Les badauds sont là, les camelots aussi, mais la foule est moins dense, on circule à l’aise entre les étals ; ceux des fruitiers sont toujours un régal pour les yeux et l’on remarque à peine que la marchandise n’est plus tout à fait celle des mois d’été. Tiens ! Les premières clémentines, des noisettes et des noix fraîches, des poires, du raisin et le retour en force des pommes. Quand on se promène sur le sentier de douanier en bord de mer, on voit croiser au large des voiliers. Le ballet s’intensifie même le week-end avec les privilégiés qui ont leur anneau au port de plaisance. Quant aux trois compagnies concurrentes pour les croisières en bateau aux îles, elles n’ont pas fermé guichet. On remarque encore du mouvement aux abords de l’embarcadère, mais il n’y a plus qu’un ou deux départs par jour, et pour peu que la mer moutonne par un vent de force 4 ou 5, décourageant les plus hardis ̶ tout le monde n’a pas le pied marin et le cœur bien accroché ̶ on renonce à vendre les billets. Et aussi dans le vieux village, les pimpantes petites maisons de pêcheurs, retapées à grands frais par les amoureux du coin, ont les yeux clos jusqu’aux prochaines vacances ; dans un jardinet , un ballon oublié , près de roses trémières dont la floraison s’éternise... Souvenir des joies de l’été. Les résidences secondaires du côté du port de plaisance sont fermées ; on a même remisé le mobilier de plein air, c’est dire ! On ne croit plus aux week-ends de beau temps. Douce amertume.
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De toute façon, quand vient la deuxième quinzaine de septembre, ce n’est décidément plus ʺ comme avant ʺ. On aurait presque envie de rentrer !
Annie Loudes-Bocquet